Entretien avec Eric Merry : artisan de tambours chamaniques en Aveyron

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Je vous partage ici un échange passionnant que j’ai eu hier avec Eric Merry. La conversation a duré plus d’une heure. Nous avons abordé de nombreux sujet. J’ai remis en forme cet entretien sous la forme de questions/réponses afin que le contenu soit agréable à lire. Je vous souhaite une bonne lecture.

Il faut moins de mots pour dire la vérité que pour fabriquer un mensonge.

Dicton amérindien

Quel est ton parcours ? 

Eric Merry : Je suis un ancien sportif de haut niveau. J’adorais le sport, particulièrement le ski et l’escalade. L’hiver, je descendais des sommets à ski et l’été je partais les escalader.

Ma carrière s’est arrêtée brutalement à 25 ans après une usure physique importante. Je n’avais plus d’autre choix que de m’arrêter. J’ai dû à ce moment-là changer de vie. 

Je me suis mis à la musique en autodidacte. Et des rencontres ont fait que je me suis mis à construire des didgeridoos pour finir par en vivre. J’ai alors fait partie des premiers fabricants de didgeridoos en France, reconnu notamment par des aborigènes. 

Après avoir longtemps fabriqué des didgeridoos, enregistré des disques, et joué sur de grandes scènes, j’ai décidé de transmettre mon savoir à des jeunes afin qu’ils reprennent le flambeau. Après cela je me suis orienté vers la fabrication de tambours chamaniques. 

Qu’est-ce que représente un tambour chamanique pour toi? 

EM : Cela représente une prolongation du corps ou un deuxième cœur. 

Que représente le tambour chamanique chez les amérindiens? 

EM : Chez les amérindiens, le tambour est un instrument personnel. Il n’y a pas d’obligation à jouer à l’équinoxe ou à la pleine lune. Il est possible de le jouer tous les jours ou tous les cinq ans. 

Lors des réunions annuelles entre tribus, les “pow wows”, les amérindiens utilisaient le rythme des tambours associé à des chants pour raconter aux autres tribus les événements importants de l’année. 

Chez nous il y a souvent une association faite entre le tambour et le chamanisme. Or dans les “pow wows”, on ne voit pas de personne jouant du tambour et chantant toute seule dans le but de soigner.  

Qu’est-ce qu’un chamane ? 

EM : L’origine du mot chamane est sibérienne. Le chamane est celui qui voit et celui qui sait. 

A l’origine, un chamane pouvait être réveillé à 5h45 du matin afin qu’il retrouve des chevaux qui se seraient échappés du parc. Il permettait aux membres de la tribu de gagner un temps précieux pour retrouver les chevaux avant qu’ils ne se fassent voler par des tribus ennemies. 

Dans les tribus amérindiennes, il y a d’abord le chef, appelé “sachem”. Celui-ci est responsable du bien commun. Il se porte garant des intérêts de la tribu. Il est choisi pour sa sagesse. Doté de qualité de chef de guerre, il protège les membres de la tribu de l’hostilité du monde extérieur. 

Le chamane, c’est celui qui prend soin de l’intérieur de la tribu, des relations sociales. On l’appelle  “homme médecine” ou “medecine man”.

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Qu’est-ce qui t’a amené à t’intéresser aux tambours chamaniques? 

EM : Avant de fabriquer des tambours chamaniques, je faisais des didgeridoos. Leur fabrication était très physique. Engagé également dans d’autres activités telles que la peinture, la musique, la chanson, j’avais besoin d’équilibre dans ma vie. Je souhaitais avant la naissance de ma fille me consacrer à une activité plus “posée”, plus féminine. 

Le tambour représente la terre, la lune, la planète. Il est associé à l’énergie “Yin”. Tandis que le didgeridoo est beaucoup plus masculin, associé à une énergie “Yang”. 

La pratique du didgeridoo est interdite pour les femmes chez les aborigènes. Alors que chez les amérindiens ou chez les mongoles sibériens, il y a eu des femmes chamanes jouant du tambour depuis la nuit des temps. 

Comment as-tu appris à fabriquer des tambours? 

EM : Cela peut être difficile à comprendre pour beaucoup de gens, mais la réalité est que je n’ai pas appris. J’ai fait mon premier tambour tout seul, dans mon coin. Après j’ai réparé un tambour qui venait des Etats-Unis. 

Ensuite j’ai été reconnu par la famille de Sitting Bull. J’ai rencontré des amérindiens dans de nombreux festivals qui m’ont dit que ma méthode de fabrication des tambours correspondait à la leur. Puis ils m’ont adopté. Sans rien savoir, j’ai reproduit des techniques traditionnelles amérindiennes intuitivement. 

Quels sont tes inspirations lorsque tu fabriques un tambour ? 

EM : Je suis complètement vierge lorsque je fabrique un tambour. Si je conçois un tambour chargé, cela peut causer des interférences dans la pratique de l’utilisateur. 

C’est pour cela qu’après fabrication, les tambours sont lavés. 

Chaque fabrication demande une remise en question. Elle se fait en conscience.

Quelle est la particularité des tambours que tu fabriques? 

EM : Chacun a le droit d’être ici dans ce monde. Chacun a sa place. Il n’y a donc pour moi aucune raison de se comparer. 

Pour moi, la personne qui reçoit le tambour n’est pas un client, c’est un(e) ami(e). 

L’important pour moi dans la fabrication du tambour, c’est le partage.

Avoir la responsabilité de faire un tambour pour quelqu’un, c’est énorme pour moi.

Faut-il fabriquer son tambour ou pas? 

EM : Je reçois régulièrement des demandes pour participer à des stages de fabrication de tambour. Cependant pour moi, fabriquer soi-même son tambour n’est pas la meilleure solution pour avoir un tambour qui nous corresponde. Fabriquer un tambour avec des mains qui n’ont jamais touchées la matière, cela comporte des risques. 

De nombreuses personnes croient qu’en fabriquant le tambour, elles vont l’investir. Or ceci est un leurre. Ce n’est pas en construisant leur propre tambour qu’une personne va avoir son propre son. Un tambour chamanique est un instrument avec lequel on construit une relation. C’est un long chemin avant d’établir une relation intime avec son instrument. 

Quelles sont tes attentes lorsque tu fabriques un tambour?

EM : Sur ce sujet, je pense qu’il faille toujours “être au milieu”. Une corde pas assez tendue ne sonne pas. Une corde trop tendue casse. La fabrication de chaque tambour doit être dirigée par la peau. Ce n’est pas toi qui commande. C’est de cette façon que la relation avec le tambour se construit. Ce n’est pas une logique de performance. 

Le tambour doit te faire du bien à toi-même avant de faire du bien aux autres. C’est pour cette raison qu’il est important que je me sente bien avec le tambour afin qu’il fasse du bien aux autres. 

Quelle leçon as-tu pu tirer de cette expérience dans la construction de tambours? 

EM : Je te répondrai par une question philosophique : “A-t-on besoin de savoir pour comprendre, ou est-ce qu’on a besoin de comprendre pour savoir?”. 

Je ne comprends pas ce que je fais, mais ça marche.

Quel conseil donnerais-tu à une personne pour choisir son tambour? 

EM : Je pose toujours cette question aux gens qui souhaitent s’acheter un tambour : 

Êtes-vous trop ancré ou bien trop “en l’air”? 

Si une personne est trop “en l’air”, elle aura besoin d’un tambour pour améliorer son ancrage. Il faudra privilégier un tambour avec des fréquences très basses, afin de trouver l’équilibre.

Pour les personnes très ancrées, il leur faudra un tambour pour les faire décoller ( cerf, cheval…) et faire le voyage chamanique.

Pour nourrir sa pratique chamanique, penses-tu qu’il soit important de jouer de son tambour au quotidien? 

EM : Cela n’a aucune importance. Il est essentiel de prendre soin de soi et de ses proches avant de commencer à jouer du tambour. Jouer du tambour ne doit pas être une obligation, c’est un complément.

Quels sont tes projets pour le futur? 

EM : J’aimerais fabriquer un tambour de 2 mètres de diamètre et un tambour harpe. Je ne souhaite pas particulièrement bosser davantage. C’est pour cette raison que je travaille avec des distributeurs plutôt que de bosser en direct avec les clients. 

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Voici une photo du tronc qui servira à la fabrication du fameux tambour géant.

Je cherche à être équilibré dans ma vie, éviter les problèmes autant que je peux. Je n’ai pas besoin de reconnaissance particulière. 

J’ai remonté récemment un studio avec un ami. J’aimerais revivre des expériences musicales. 

Je souhaite me donner le temps de faire autre chose et rencontrer de nouvelles personnes.

Samuel : Un grand merci Eric pour cet échange. Je te souhaite une bonne continuation et à bientôt au téléphone.

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